Au cadre de notre nouvelle colonne, intitulee « La France d’avant », on a choisi d’interviewer longuement des anonymes au sujet des evolutions qu’a connues leur profession lors des 50 dernieres annees, evolutions qui en disent des fois long sur les chamboulements recents de notre cher pays.
Si je vous dis « monde une publicite d’avant », vous aurez tres rapidement en tete une capture d’ecran tiree de Mad Men ou des images aux couleurs pastel – mais souvent pas des reclames datant une Thebes antique. Effectivement, l’essor de l’industrie publicitaire reste etroitement lie a l’avenement de notre societe de consommation de masse, agence qui a erige l’achat en acte quasi-identitaire. Television au sein de chaque foyer, etudes marketing et loisirs pour tous auront permis a J’ai publicite de toucher chacune de la population, envahissant l’espace public et se delestant generalement de tout humour Afin de adopter une demarche de predation.
Michel Devaux a bien connu une telle evolution. De nos jours age de 85 annees, il a ete publicitaire des annees 1960 aux annees 1990. Apres avoir etudie a HEC et accompli son service militaire, il a travaille dans differentes cr?©er compte fruzo societes – dont IPA, une filiale d’IP, le regisseur du groupe RTL.
Revenu en France apres avoir tente sa chance au coeur de la grande agence allemande, il a monte une propre agence a toutes les debuts des annees 1970. Son parcours lui a permis d’assister aux principales mutations du secteur dans ces annees-la. C’est pour evoquer l’arrivee de l’informatique et le role joue par la consommation de masse que j’ai voulu rencontrer ce passionne de l’image, qui peint depuis pres de trois decennies.
L’ecole buissonniere. Tableau de Michel Devaux
VICE : Bonjour Jacques. Pourquoi avez-vous choisi de faire vos etudes a HEC, avant tout ? Jacques Devaux : Apres avoir passe le enfance dans des etablissements religieux, refugie dans la litterature, j’ai choisi d’embrasser le chemin tout d’un bac litteraire. Chez les pretres, j’etais toujours le dernier, mais au lycee, j’ai travaille tel une bete et obtenu mon bac avec mention. Un matin, au lycee Hoche de Versailles, j’ai croise des etudiants qui portaient un calot, 1 bonnet militaire sur lequel etaient ecrites trois lettres, « HEC ». J’ai reclame : « Qu’est-ce que ca veut penser, Hek ? » Ils m’ont repondu qu’il s’agissait de l’ecole des « Hautes Etudes Commerciales » et qu’une fois qu’on l’avait integree, ca durait trois ans. A l’epoque, je songeais a faire medecine, mais sept ans d’etudes, c’etait trop long. Alors va pour « HEC » !
Personne ne m’avait parle de l’universite, qui m’aurait en general plus convenu. Mon pere etait Gadz’Arts [nom donne a toutes les eleves et anciens eleves de l’Ecole nationale superieure d’Arts et Metiers, ndlr], la maman avait ete bonnetiere. Ils voulaient que je reussisse socialement, mais n’etaient jamais au courant des filieres. J’ai donc fait HEC a la fois par hasard et via manque d’informations.
La pub, c’etait aussi avec hasard ? Oui, plus ou moins. Apres HEC et une annee passee en Angleterre, j’ai cru a l’appel du gouvernement francais de Guy Mollet, qui avait promis de « finir Beyrouth en Algerie » et j’ai resilie mon sursis. J’ai passe six mois a Frileuse, pres de Paris, puis six mois comme Eleve Officier de Reserve a Cherchell, a l’ouest d’Alger, puis un an dans les confins algero-marocains, en beaucoup desert. Rentre en 1958, je n’avais pas un sou, ainsi, mon pere m’a prete quelque peu d’argent, l’equivalent d’une centaine d’euros, en me disant : « Tu me les rendras. »
Rassurez-vous, la solidarite HEC a joue et grace a l’association des publicitaires de l’ecole j’ai pu participer des janvier 1959 a un diner de 60 ou 80 convives ou l’on m’a, si je peux dire, « mis a toutes les encheres ». C’est comme ca que je n’ai decroche mon premier emploi chez Kodak, au service publicite.
Ca vous a aide a resoudre les problemes d’argent ? Beaucoup de mes camarades de HEC de l’epoque avaient le aussi probleme que moi. On etait payes au lance-pierre. Mais bien on trouvait facilement du bricolage.
J’etais paye 80 000 francs par mois – soit environ 130 euros – et, au bout tout d’un an, il n’y avait forcement nullement d’augmentation en vue. Je vivais dans 12 m?, au milieu des toilettes sur le palier, au 6e etage sans ascenseur. Vous voyez, rien d’inedit !
J’ai donc change d’emploi pour entrer dans une agence de publicite. En realite, c’etait une « agence fictive », creee par un gros annonceur, Kleber-Colombes, De sorte i recuperer les commissions versees par les medias aux agences de publicite accreditees. Mes annonceurs ne pouvaient jamais en jouir, normalement. J’imagine que des personnes touchaient de l’argent par-ci par-la.